Peoples Republic of Stokes Croft // Bristol
Interview de Chris Chalkley, l’emblématique responsable de la Peoples Republic of Stokes Croft de Bristol, par Violaine Pondard.
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A Bristol pour une semaine, en préparation d’un projet professionnel, nous parcourons les rues de cette grande ville de l’Ouest de l’Angleterre. Nommée Capitale Européenne Verte en 2015, Bristol compte 430.000 habitants et est déjà réputée pour être l’une des capitales du street-art. La ville qui a vu naître Banksy. En effet, ici le street-art est omniprésent. A chaque coin de rue nous découvrons un pochoir, des autocollants ou un graffiti explosif. Dès les années 90, Banksy réalisait ses premiers pochoirs sur les murs de la ville. S’il est aujourd’hui porté aux nues comme un héros des temps modernes, cet artiste anti-système, anti-capitaliste et rebelle fait pourtant désormais l’affaire des marchands de livres, de goodies et de merchandising à son effigie.
Un mur en l’honneur de Nelson Mandela
Au détour de Stokes Croft, rue qui prolonge Gloucester Road, la plus longue artère de shops indépendants de toute l’Angleterre, nous bifurquons vers Jamaica Street où nous avons aperçu quelques graffitis qui semblent remarquables. Et pour cause, là se trouve un mur de 15 mètres de long en l’honneur de Nelson Mandela.
Des empreintes d’affiches vertes et jaunes servent d’ornement au visage en noir et blanc de Madiba. Le mur a été peint en janvier dernier, à plusieurs mains. « Nous avons été obligés de reculer le mur de un mètre« , nous explique Chris Chalkley, le maître des lieux. « Sinon nous étions dans l’illégalité. Nous avons toujours une réponse à ce que la municipalité de Bristol essaie de mettre en place pour nous empêcher de peindre« .
Après avoir été impressionnés par ce mur Mandela, nous avons franchi une petite porte à droite. Elle donne sur une cour intérieure où s’activent des artistes de rues pour la plupart anonymes. Une bombe aérosol à la main, un jeune poursuit sa fresque murale. Du matériel en tout genre s’entasse là, pouvant servir à une prochaine oeuvre de rue. Chris Chalkley se tient devant nous, il nous accueille d’un sourire chaleureux et assouvit sans broncher notre curiosité. Il nous raconte tout de la vie de cette communauté qui vit à Stokes Croft.
Vendre de la porcelaine et des t-shirts pour financer la création
« Faire de l’art de rue, c’est une manière d’intégrer les jeunes à un projet urbain, un projet de société, de les responsabiliser« . Chris Chalkley est à Bristol depuis 1977 et dirige Peoples Republic of Stokes Croft (PRSC). Une organisation qui vise à défendre les intérêts du quartier, d’aider à son développement, en utilisant à bon escient l’ensemble des spécificités de cette aire urbaine à des fins artistiques. Le mur d’enceinte de l’espace a déjà été repeint 75 fois. Personne ne sait combien de temps durera l’hommage à Mandela. PRSC utilise les ateliers de la Jamaica Street pour créer et aussi pour financer ses créations éphémères. « Nous fabriquons de la porcelaine anglaise véritable, des t-shirt imprimés, des affiches et les vendons dans une petite boutique attenante« , explique Chris Chalkley.
Les bénéfices servent intégralement à financer les projets artistiques de PRSC : un nouveau mural dans Stokes Croft, la réhabilitation pour la 4è fois d’une oeuvre de Banksy (The Mild Mild West peint en 1994 par le maître) sur l’un des murs du Hamilton House ou encore l’Ours en matériaux recyclables installé sur le rond point de Saint James Barton. Sans compter les innombrables pochoirs ou muraux qui ornent certaines vieilles bâtisses de la rue.
« Certains immeubles étaient très laids, nous avons proposé notre regard artistique« , précise Chris. D’où les ornements de fleurs bleues typiques de Peoples Republic of Stokes Croft sur la façade alors décrépie d’un bureau d’avocats sur le boulevard. Ces mêmes fleurs que l’on retrouve sur le panneau de la rue Hillgrove Street ou sur la porcelaine fine de PRSC.
Créons ensemble notre propre futur
We make our own futur. Nous créons notre propre futur. Cette phrase est le leitmotiv du collectif de Stokes Croft qui la répand comme une propagande optimiste sur les murs de la ville. « Notre but est de protéger chaque morceau de la ville, de préserver le bâti existant. Tout le street art que nous proposons est le résultat d’une décision esthétique : un trottoir, une rue, une ombre. Tout est pris en compte« , indique Chris Chalkley. « Dans le quartier, il y a tout les problèmes du monde : les SDF, les drogués, la misère… Nous avons voulu changer les choses. » Et pour cause, bombardé pendant la Seconde Guerre Mondiale, le quartier de Stokes Croft a gardé longtemps les stigmates de son passé. « Il y a six ans, personne n’osait traverser cette rue, tout le monde baissait la tête« , poursuit le chairman de PRSC.
Et puis l’art a pris le dessus. Grâce à des influences issues de Banksy bien sûr, et puis aussi du Japon ou des Etats-Unis avec des artistes venus montrer leur savoir-faire. Le premier mur est peint en 2006 à l’angle de Hillgrove Street. Une vague de rose envahit la façade. Comme un tsunami d’énergie positive. Chaque détail est pensé, réfléchi par la team de Stokes Croft : un gilet de sauvetage sur le boîtier électrique et un panda dans un bateau qui essaie de se sauver de cette avalanche de rose.
La communauté aux commandes
« La Ville de Bristol a dépensé beaucoup d’argent et beaucoup d’énergie pour effacer les graffitis sur les murs. On leur a dit Ok, laissez-nous faire« , raconte Chris. La différence entre Stokes Croft et Nelson Street, l’autre rue du street-art de Bristol, où se trouvent le Renard de Roa, la Femme et l’enfant de El Mac ou encore la fresque géante d’Aryz, c’est que dans ce quartier plus populaire l’art vient directement de la rue. « Ce ne sont pas des commandes passées à des grands artistes internationaux« , précise Chris. « Ici, c’est la communauté qui est aux commandes. » Une communauté qui défend l’art de son quartier et qui se mobilise pour préserver des grandes oeuvres et restaurer ainsi ce qui fait désormais l’identité du quartier. « Nous avons petit à petit réussi à gagner la confiance de la Ville« , reconnaît Chris Chalkley qui s’entoure d’une centaine d’artistes chez PRSC. « Je sais que je suis un criminel. Parce qu’un jour j’ai écrit Bienvenue à Stokes Croft sur le mur« . Mais les choses sont en train de changer. Le maire George Ferguson, sans étiquette politique élu en 2012, souhaite lui aussi le changement. Il aimerait faire de sa ville un laboratoire. « Mais cela prend du temps. Faire accepter le changement prend du temps« , soupire Chris Chalkley en retournant vaquer à ses occupations avant la nuit. Pour nous, la rencontre était inattendue. Et la découverte de ce milieu d’autant plus surprenante que nous connaissons désormais un peu mieux l’envers du décor.
Billet rédigé par Violaine Pondard
Toutes les photos avec la légende street-art-avenue.com ainsi que la photo d’ouverture du billet (si le crédit n’est pas précisé) sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 3.0 non transposé.