Dans les entrailles du Mausolée – Porte de La Villette, Paris 19ème

Par Alain , 2 décembre 2025

Visite en mode urbex de ce lieu mythique du graffiti parisien, avec l’avantage appréciable d’être accompagné de Lek & Sowat, les deux artistes à l’origine de ce projet hors norme. Bien plus qu’un simple bâtiment abandonné, vandalisé, ou même qu’un musée brut, le Mausolée est un lieu chargé d’histoire et de créativité dont le futur reste à écrire…,

 

Passé l’étroite porte métallique, on entre dans un autre monde : un univers fascinant à l’ambiance post-apocalyptique, un décor lunaire par le sol tapissé d’une épaisse couche de poussière. 40000 m² de béton sur trois étages, parkings compris, figés dans leur jus depuis 15 ans. Mais entre-temps, à la fermeture de ce supermarché, le bâtiment a été squatté par des sans-papiers, des toxicomanes, des personnes exclues de la société et a abrité toutes sortes de populations marginales, déracinées, déshéritées, en quête d’abri, voire de lieu pour développer diverses activités pas trop légales…. Les détritus, carcasses de voitures et objets du quotidien restés en l’état créent un décor d’hiver nucléaire. On peine à imaginer comment ont (sur)vécu familles et enfants, dans la pénombre et le froid entre des murs ouverts aux quatre vents.

C’est dans cadre incroyable que Lek & Sowat, duo d’artistes plasticiens et street artistes passionnés d’explorations urbaines, sont intervenus en vandale durant deux années (2010-2011), sidérés par l’ambiance du bâtiment et subjugués par les possibilités artistiques de ce lieu exceptionnel. Avec une trentaine d’artistes incontournables de différentes générations de la scène graffiti hexagonale invités à profiter en secret de cette opportunité, Lek & Sowat ont constitué dans cette résidence artistique sauvage un panel de la culture graffiti de cette époque et réalisé une expérience artistique immersive hors du commun.

 

L’un des aspects les plus fascinants du Mausolée est le dialogue qui s’établit entre les artistes et le lieu lui-même. Lek & Sowat ont cherché sans cesse à intégrer leurs œuvres dans l’architecture du bâtiment, en utilisant les différentes surfaces et particularités architecturales comme support à leurs créations. Ainsi chaque fresque s’harmonise avec l’espace qui l’entoure – le béton, bien sûr, les piliers, comme les épaves , carcasses métalliques, etc – créant une symbiose entre l’environnement et l’art urbain, dans tout ce qu’il a de « vivant ».

Les peintures qui résistent au temps, protégées des agressions des éléments et mêlées aux détritus, témoignent d’une vie d’avant. Mythique pour des générations d’explorateurs urbains, le Mausolée a attiré au fil des années de nombreux artistes, anonymes ou reconnus, qui ont réussi à infiltrer le bâtiment pour y laisser à leur tour leur empreinte. Certes, les œuvres ont parfois perdu de leur éclat et les peintures ont laissé quelques plumes au fil du temps, toys et tags ont fait leur œuvre, mais l’essentiel est préservé et l’ensemble a paradoxalement gagné en réalisme. Même si le fameux puits de lumière comme d’autres espaces ne sont pas visibles pour raison de sécurité, ce qui est montré au visiteur, dans la pénombre, sur un itinéraire soigneusement nettoyé et balisé, a l’immense mérite de conserver l’impression d’une immersion authentique et saisissante.

Cette ouverture est une première mondiale dans la mesure où un projet initialement clandestin de cette envergure n’a jamais été rendu accessible à toutes et tous.

Après une première vie de supermarché – cathédrale de la consommation, une deuxième vie à visée sociale de refuge – squat , et une troisième vie de temple de l’underground que peut-il bien advenir de ce lieu, symbole d’une vraie archéologie sociale ?

Les artistes, les populations qui se sont succédé dans ce temple oublié y ont laisse leurs propres empreintes et la médiation militante et passionnée de Lek & Sowat nous rappelle que la conservation artistique et culturelle est toujours précaire. L‘attitude respectueuse des deux artistes à l’esprit du lieu, leur souci de la gratuité et leur ouverture aux attentes des riverains confirment cette impression forte de visiter un lieu vivant de tous les liens qui s’y sont créés.

Mais conscients que le lieu ne peut demeurer indéfiniment dans cet état et sous ce statut Lek & Sowat poussent auprès des autorités municipales (propriétaires des lieux) pour qu’il en soit tenu compte dans le projet immobilier inéluctable qui transformera le quartier. Car ce moment de vie doit perdurer d’une manière ou d’une autre !
Ephémère oui, mais pas trop … 

Texte & photos : Alain
Visite effectuée à l’invitation de la Fédération de l’Art Urbain

Plus sur les artistes : instagram.com/sowat_dmv
instagram.com/lek_______75019

* Parmi les artistes invités par Lek & Sowat :
Apotre, Bims, Blo, Bom.k, Boyane, Brusk, Deap, Dem189, Fléo, Gilbert1, Gris1, Hobz, Honda, Jayone, Jaws, Kan, Katre, Manyak, Monsieur Qui, O’clock, Omick, Onde, Arnaud Liard, Onde, L’Outsider, Paum/Sarin, Rems, Romi, Sambre, Seth, Siao, Skio, Smo, Spé, Swiz, Tcheko & Wxyz

* A voir aussi:
– Sur Youtube : « Mausolée Lek & Sowat » : https://www.youtube.com/watch?v=jYnLx9l-0Sw.
– Sur Arte : « Tracks » : https://www.youtube.com/watch?v=msL1mNRYNNI

* Ce projet a pu voir le jour grâce au soutien du Fonds Renault pour l’art et la culture et à l’Asso R’STYLE
* Visite gratuite, mais réservation obligatoire

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