Engagé politiquement et socialement, Ernest Pignon-Ernest développe un art qui cherche à bouleverser les mentalités, à ouvrir les esprits sur la réalité du monde. Aussi sombre soit-il. Dans les années 70, avec ses premières oeuvres, il dénonce la guerre d’Algérie, l’apartheid en Afrique du Sud, la situation des immigrants en Europe… Tous ces événements qui dénombrent des milliers de victimes à qui il permet de sortir de l’oubli et de s’extraire du silence par l’art de rue.
L’artiste dénonce entre autre en 1974 une décision du conseil municipal de sa ville, Nice, celle d’un jumelage avec la ville du Cap en Afrique du Sud, alors capitale du racisme institutionnalisé. Ernest Pignon-Ernest a collé dans la ville des centaines d’images d’une famille noire parquée derrière des barbelés.
Ses croquis, ses dessins, ses pochoirs et ses collages cherchent à provoquer le spectateur, le perturber, le forçant à voir en face la réalité subie par des millions de gens. En soulignant les événements historiques de l’humanité et en révélant les injustices. Comme en 1975 où l’artiste s’est engagé au côté du MLF pour dénoncer la campagne réactionnaire contre l’avortement dont le projet de loi était alors débattu et soutenu à l’assemblée nationale par Simone Veil. Ernest Pignon-Ernest avait alors retourner le slogan « l’avortement tue » par « oui l’avortement tue, mais d’abord des femmes ! » en livrant dans la rue l’image difficile d’un corps de femme nue dont la mise en scène s’approchait de la terrible réalité.
Lui qui admire Picasso, Le Greco ou Bacon, s’était installé à 24 ans, en 1966, dans un petit atelier dans le Vaucluse avec le projet de réaliser des toiles monumentales. Rattrapé par ce qui ce passait à quelques champs de lavandes de chez lui, à savoir l’installation d’un arsenal atomique, il décide de dénoncer les effets des bombes en reprenant la silhouette d’un homme calciné par l’éclair atomique à Hiroshima. Il crée un pochoir dont il laisse l’empreinte sur les murs des maisons ainsi que les roches.
Ses représentations humaines grandeurs nature sont réalisées au fusain, à la pierre noire et à l’aide de gommes crantées de différentes épaisseurs. Ce qui façonne les ombres. Ernest Pignon-Ernest les reproduits en sérigraphie et les colle sur les murs des villes, tout autour du monde. « Si je les faisais plus grands ou plus petits, ça serait comme des dessins exposés dans la rue. Là, l’idée c’est qu’ils s’inscrivent dans la rue, qu’ils en fassent partie, en inscrivant dans le lieu le signe humain », dit-il. Si ces oeuvres sont éphémères, vouées à disparaître avec l’usure du temps, Ernest Pignon-Ernest en garde tous les croquis et travaux préparatoires, ainsi que les photographies de ses oeuvres in situ. C’est ce qui constitue aujourd’hui une immense base d’archives, que l’artiste expose d’ailleurs à Nice au Musée d’art moderne et contemporain fin 2016.
Certaines de ses oeuvres font encore écho aux événements contemporains, comme la série des Expulsés, de 1977 à 1979, qui rappelle cruellement la situation des migrants en 2016.
A chaque fois, Ernest Pignon-Ernest choisi un lieu et un pochoir qui s’expriment d’eux-mêmes. Comme ce dessin sur les murs de la prison Saint-Paul à Lyon (ci-dessous), sur les escaliers de Montmartre ou encore dans la station de métro Charonne.
« Le dessin, c’est révéler en quelque sorte la réalité du lieu », reconnaît-il. Pour lui, c’est par les effets de réel du dessin uniquement que l’interaction se produit entre le lieu et ce qu’il cherche à exprimer. « C’est le fruit d’une réflexion qui veut prendre en compte tout ce qui ne se voit pas d’emblée mais qui est là, l’espace, la lumière, la texture du mur. C’est, en même temps, tout ce qui appartient à l’histoire, à la mémoire, aux traces ». Une manière pour lui de faire parler les murs. De leur faire raviver l’histoire d’événements vécus pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. « Quand j’interviens dans un lieu, j’inscris dans le lieu un signe d’humanité », précise-t-il. « Je n’expose pas des dessins dans la rue, je provoque quelque chose dans la rue », dit-il encore avant de compléter : « ce que je propose, ce n’est pas mon bonhomme, c’est bien le lieu et sa mémoire. »
En 2015, il rend hommage à Pasolini avec une mise en abyme du poète et réalisateur italien très controversé à l’époque et assassiné en 1975. Il dessine son portrait, tenant dans ses bras son propre corps. Le collage est présent sur les murs des lieux mêmes où Pasolini a vécu, à Rome et près de la plage où il est mort.
Par ses créations, Ernest Pignon-Ernest souhaite réveiller les mémoires collectives en perturbant et en exacerbant la symbolique autour de l’oeuvre. Doué d’une grande exigence artistique, il a passé sa vie d’artiste dans l’engagement politique. Certaines de ses oeuvres, devenues intemporelles, sont désormais des icônes. A l’image de ce portrait de Rimbaud réalisé en 1978, reproduit à des milliers d’exemplaires, qui s’est collé sur les murs de nombreuses villes. Mais finalement, qui est le véritable spectateur de ces collages ? N’est-ce pas Rimbaud lui-même qui nous regarde, pauvres spectateurs d’une société dont on a perdu le contrôle.
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Sites officiels :
site web : pignon-ernest.com
facebook : www.facebook.com/ernest.pignonernest.9
Bio rédigée par Violaine Pondard // street-art-avenue
Sources :
pignon-ernest.com
www.telerama.fr
culturebox.francetvinfo.fr
www.humanite.fr