La montagne du diable de Teufelsberg est un paradis pour le street art
Teufelsberg (montagne du diable en allemand) est une colline artificielle de 114 mètres de haut construite avec les gravats des bâtiments de Berlin détruits lors du bombardement de la ville
.
La NSA américaine a construit à son sommet une base d’écoute, « the spy factory« , pour espionner les fréquences radio de l’ancien bloc de l’Est. Abandonné depuis 1992, ce site est devenu l’un des hauts lieux de la culture alternative berlinoise, un paradis pour les street artistes. Voici un résumé d’une visite étonnante et décalée.
Tout démarre par une rencontre inopinée, celle de Patrick (alias Plotterroboter KEN) sur le marché aux puces de Mauerpark, dans le quartier de Prenzlauerberg à Berlin. Patrick y vend tous les dimanches ses pochoirs sur cadre. Après avoir photographié plusieurs de ses peintures dans Berlin, je suis enthousiasmé par cette rencontre inattendue. Nous échangeons sur son travail et les lieux souvent improbables qu’il utilise comme un élément important dans ses différents projets artistiques. Patrick aime travailler dans des zones désaffectées, des friches industrielles, sur des supports dégradés, des éléments qui font échos à son style souvent sombre. J’évoque alors avec lui un lieu où je sais qu’il a déjà réalisé des peintures, un lieu réputé mais dont je n’ai pas eu (pris) le temps d’organiser sa visite lors de mon séjour à Berlin : L’ancienne base d’écoute de la NSA de Teufelsberg, la montagne du diable. Qu’à cela ne tienne, Patrick me donne le numéro de portable du responsable des lieux , Shalmon, et me conseille de voir directement avec lui pour découvrir le site.
J’appelle donc Shalmon de la part de Patrick (ce qui se révélera être mon sésame). Nous prenons rendez-vous à l’entrée du site deux heures plus tard.
Teufelsberg (montage du diable en allemand) est une colline artificielle qui se situe dans le district de Charlottenburg-Wilmersdorf, en pleine forêt au nord ouest de la ville (côté ouest de l’ancien mur). Teufelsberg a été érigé avec les gravats des immeubles de Berlin détruits lors des bombardements de la seconde guerre mondiale. On évalue à plus de 12 millions de mètres cube la quantité de gravats utilisée pour construire cette petite montagne de 114 mètres de haut. Il faut rappeler que ce sont les femmes berlinoises qui ont déblayé Berlin après guerre, quand les hommes étaient encore prisonniers des alliés. Il s’agit d’un des points les plus hauts de la métropole, un endroit idéal pour capter et émettre des ondes radios. C’est donc au sommet de cette colline que la NSA américaine et la Royale Air Force anglaise ont construit après guerre leur centrale d’écoute pour capter l’ensemble des gammes de fréquences émises par l’ancien bloc de l’Est, RDA et URSS en particulier. Le lieu, « the spy factory« , est facilement reconnaissable avec ses 3 dômes sous lesquels étaient placés les « grandes oreilles » de l’ouest. Américain et anglais quitteront les lieux en 1992, soit peut de temps après la chute du mur qui marquera aussi la fin d’une période, celle de la guerre froide. Depuis, le site est devenu une friche laissée à l’abandon, ou presque.
Pas de difficulté spéciale pour trouver Teufelsberg, qui se situe près des stations S-Bahn Heerstrasse ou Grunewald ; un plan est disponible sur le site de l’association qui organise la visite des lieux. Par contre, c’est un peu plus compliqué pour trouver la base d’espionnage car les chemins en pleine forêt ne sont pas balisés, et il y en a pas mal, avec plusieurs options possibles. Après une petite heure de marche (au lieu de 30mn) nous finissons par trouver l’entrée du site, gardée et surveillée. J’apprendrai a posteriori sur le site de www.teufelsberg-berliner.de que le site est fermé au public. Des visites sont organisées depuis 2011 le week-end, sous escorte de guides professionnels. J’appelle donc Shalmon comme convenu qui donne consigne aux gardiens de nous conduire à l’intérieur du site. L’improbable commence là. Nous sommes conduits au milieu de bâtiments complètement dégradés et vandalisés, en empruntant des passages improbables : escaliers défoncés, couloirs sans lumière, passages creusés à même les murs,… Nous arrivons finalement au coeur du complexe, dans la cage de faraday (une vraie !), là où Shalmon et les équipes (guides et workers) ont leur salle de repos. Après présentation et échange, Shalmon nous laisse libre de visiter les lieux. Il me demande de faire passer le message suivant « tous les street artistes français qui souhaitent venir réaliser une peinture sont les bienvenus, il suffit de prendre rendez-vous avec lui et d’apporter son matériel : aérosol, peinture, etc..« .
Là commence donc la visite. Comme pour le RAW Tempel, je manque de temps et nous devons, Ben & moi, parcourir le site un peu au pas de course. Le site est immense, et sans guide, nous cherchons notre chemin en acceptant de nous perdre et en nous guidant à l’instinct.
L’ancienne base d’espionnage dans laquelle ont travaillé jusqu’à 1500 personnes est un lieu à l’architecture au style industriel, laissant découvrir des salles immenses, des couloirs sans ouverture, où les chemins de câbles et la tuyauterie servent de fil d’ariane dans cet univers chaotique. La plupart des pièces aux portes métalliques lourdes sont condamnées et inaccessibles. Partout, ou presque, des tags, des graffitis et des pièces de street art, des rubans de signalisation pour baliser les endroits les plus dangereux. L’endroit est juste surréaliste.
Après quelques errements, nous trouvons l’accès qui mène au bâtiment central, celui qui supporte les dômes des radars. Sur le chemin, nous découvrons quelques pièces magnifiques de CRIN, JBAK, John Reaktor (SAM Crew), AweR,…
Nous finissons par trouver l’escalier que nous cherchions. L’arrivée sur le toit du bâtiment central est surprenante. D’abord, la vue sur Berlin est exceptionnelle. Nous dominons la ville qui s’étend à perte de vue. Ensuite, la présence imposante des dômes délabrés confère au lieu une ambiance étrange, de fin du monde. On dirait 3 gigantesques balles de golf posées sur trois niveaux différents. On peut pénétrer à l’intérieur et imaginer les puissants radars d’écoute, les fameuses « grandes oreilles » du réseau Echelon placées là, cachées derrière ces bulles de toile et d’acier. Enfin, le lieu est à peine sécurisé (ce qui explique en partie qu’il ne soit pas ouvert au public) ce qui renforce la sensation de vertige.
Partout des tags, des graffitis, mais aussi des pochoirs et quelques pièces plus importantes.
Encore quelques dizaines de marches (une petite centaine en réalité) pour atteindre le dernier dôme, celui-qui domine le site à plus de 200 mètres de hauteur, soit le deuxième point de vue panoramique le plus haut de Berlin après celui de la Fernsehturm (la tour de la télévision et sa plate-forme d’observation panoramique située à 207 mètres). L’arrivée se fait directement à l’intérieur du dôme. Il faut donc sortir la tête pour profiter du paysage exceptionnel depuis ce point de vue. Mais le clou de la visite se situe à l’intérieur. « The Cycle » sont deux silhouettes d’hommes les bras en croix peintes par le street artiste ALANIZ en mai dernier. Cette oeuvre gigantesque couvre la surface intérieure du dôme sur 360°. Mon grand angle ne suffit pas à prendre chaque silhouette dans son intégralité. J’ai repris une photo du compte facebook d’ALANIZ pour vous donner une dimension de l’échelle… huge !
Je referai un billet spécial sur cette oeuvre, qui mérite vraiment que l’on s’y attarde un peu. Comme évoqué en début de ce post, je n’avais pas le temps de rester plus longtemps sur ce site incroyable, là où j’aurai passé de bonnes heures de plus tant les lieux sont grands, mais surtout, tant la densité des oeuvres, graffitis, tag, pochoirs, etc.. est importante. Je crois qu’une journée serait nécessaire pour bien profiter de ce haut lieu de la culture alternative berlinoise. Si vous vous intéressez au street art ou aux cultures alternatives en général, la base NSA de Teufelsberg doit être inscrite dans vos priorités (avec le RAW Tempel) lors de votre voyage à Berlin. Les visites ont lieu le week-end sur inscription (se renseigner sur www.berliner-teufelsberg.com).
Pour boucler la boucle, c’est en partant que je suis tombé sur l’un des pochoirs peints par Plotterroboter KEN. Je ne l’avais pas vu en arrivant, mais il se trouve juste à l’entrée du site… Encore mille mercis Patrick et Shalmon pour cette incroyable découverte.
Toutes les photos avec la légende street-art-avenue sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 3.0 non transposé.